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Franca Mai la singuliere
Le Républicain Lorrain

LE REPUBLICAIN LORRAIN
Dimanche 14 Septembre 2003

FRANCA MAI CONFIRME

113 pages et un titre qui claque, Momo qui kills, ont suffi à Franca Maï pour faire son trou dans le paysage littéraire.

Son deuxième roman Jean-Pôl et la môme caoutchouc confirme ce talent émergent.

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Elle aurait pu se noyer dans la vague de l’automne 2002 : toute une eau noire qui débordait dans les pages des livres, tant de gens qui se mettaient à écrire sur les violeurs, tueurs, pédophiles... Elle aurait pu n’être qu’un parmi ces auteurs opportunistes. Passer inaperçue.

Mais son Killer n’est pas de série. Son Momo est une personnage complexe, un être blessé, abandonné, qui se venge sur les femmes, puis sur l’ensemble de la société. Ce parcours désespéré est raconté sans aucune compassion pour les victimes. Avec cynisme, diront certains. Or, Franca Maï n’est pas une moraliste : « Je ne justifie pas. J’explique le dérapage d’un homme qui pourrait être notre voisin nous confiait-elle lors du dernier Eté du livre : avant d’en arriver à tant de désespoir, on envoie des signaux vers l’extérieur, et il n’est pas normal qu’une société qui se dise humaniste ne perçoive pas ces signaux. »

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Momo qui kills, ajoute-t-elle , a été écrit « sans fil conducteur ». L’étonnant est que, partant de la brutalité du fait divers, ce texte devienne un sanglot, un brûlot contre l’indifférence, et un véritable cri de révolte.

Cette première œuvre a été remarquée : Franca travaille déjà à l’adapter pour le cinéma. D’autre part, son éditeur, le Cherche-Midi, l’a sollicitée pour un autre roman.

Le résultat vient d’arriver chez les libraires, il s’intitule Jean-Pôl et la môme caoutchouc.

Titre cernant le face-à-face entre le personnage principal, jeune Eurasien engagé dans l’Armée française pendant la Guerre d’Indochine, et une espionne indochinoise qu’il est censé faire parler. Une relation ambiguë se noue entre eux. Jean-Pôl échoue dans sa mission et subit à son tour le sadisme de son supérieur, le colonel Rovache. Il se retrouve entre l’arbre et l’écorce, entre les Français et les Viets, piège à quoi sa condition de métis le prédestinait.

« Mon grand-père était d’origine saïgonnaise, explique Franca Maï. Il vivait en France avec neuf enfants dont ma mère, Reine, une Eurasienne. Je n’ai pas connu ce grand-père, mais je suis évidemment sensible aux relations entre les races et aux comportements racistes. » Autre thème central, « le moment où la victime prend le dessus sur son bourreau. Je m’intéresse à l’idée de résistance. »

Référence cette fois à un passé plus personnel que familial « j’ai été une adolescente difficile, fugueuse. A 16, 17 ans, l’école n’était pas ma priorité. Je faisais de la musique et de la comédie. Je chantais, j’écrivais des petits scénarios. Je savais déjà que l’art serait mon outil. Plus tard, j’ai fait de l’audiovisuel underground. »

Ce profil de punkette, on le lit en filigrane dans son écriture acérée, débarrassée de tout le gras, mais où la littérature s’accroche à des collisions de mots étranges et violentes : « Je n’aime pas les radins. Ils rétrécissent la vie. Ils empêchent les flammes de surgir » ou « j’ai sombré dans la vague du sommeil de sable, les yeux grands ouverts, le sabordage lent collé au sang ».

Jean-Pôl, roman puzzle, fait entendre diverses voix en plus de celle du personnage principal : notamment celles de Mala, sa mère, prostituée toxicomane, et de Janice, la vieille qui l’a élevé. Surprise des surprises, elles nous parviennent d’outre-tombe, où va les rejoindre Jean-Pôl agonisant.... On touche là au secret de Franca Maï, exploratrice de la « fêlure humaine », mais à sa manière, qui n’a rien de classique. Elle s’est inventé un « réalisme poétique » bien à elle, plein de cris, de feu et de scories ; une prose urgente, brûlante, qui fait sa singularité d’écrivain.

Par Richard SOURGNES

Franca Maï
(JPG) Momo qui kills (2002)
Jean-Pôl et la môme caoutchouc (2003)

Cherche-Midi Editeur