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Franca Mai la singuliere
ccasinfos n°287 Février 2008

Franca Maï : le feu sous le chaudron


Avec son sixième roman, l’Amour carnassier, Franca Maï ­revient sur ses thèmes de prédilection : la ­souffrance, la trahison mais aussi l’utopie d’une société meilleure.

-  ccasinfos N°287 en ligne le 29 février 2008

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Franca Maï prend la vie à une telle vitesse que son parcours ressemble à un tourbillon vertigineux. Actrice, réalisatrice, photographe, chanteuse, musicienne, rédactrice de webzine et romancière, elle tient un blog qui lui ressemble, son Blog de feu, sur francamai.net. Branchée sur l’actualité, militante non politique, elle rédige des articles pour le magazine e-torpedo. net, fondé avec son compagnon Di2.

Autant d’outils pour aider à comprendre ce qui ne tourne pas rond en ce monde, autant d’étincelles pour semer quelque magie sur les jours trop gris.

Une femme électrique qui voudrait bouter le feu à l’univers pour éradiquer toutes les injustices de ce monde. Une femme entière, révoltée par la violence des hommes, la misère, les humiliations, les viols, les trahisons, qui rêve d’un monde meilleur et d’un amour fou, quitte à se brûler les ailes. Tout est bon pour vivre le présent à son maximum d’intensité et tenir la mort à distance.

La vraie vie commença à 16 ans par une fugue et la rencontre d’un photographe. Franca Maï fuyait la morne province normande et se lançait dans le cinéma. Elle était jolie, audacieuse et charmeuse. De petits rôles en petits rôles, la carrière se dessinait. Défigurée dans un accident de voiture, la voilà vampire et sulfureuse dans Fascination de Jean Rollin. D’autres rôles suivent, des amours, un an au Mexique. Puis, elle réunit un groupe rock, chante et rencontre le réalisateur oYoram. Ensemble, pendant quinze ans, ils produisent, réalisent, tournent des films underground pour lesquels elle écrit les scénarios. Tout marchait bien, une fillette était née, l’argent rentrait, l’ennui peut-être gagnait.

En 1999, elle quitte Paris, le confort et son métier de réalisatrice en audiovisuel pour la côte normande, les maisons à l’abandon et la littérature.

Paru en 2002, Momo qui kills provoque un électrochoc chez les lecteurs.

Les mots crus d’un narrateur violeur en série racontent sans compassion la brutalité du monde. Au-delà de la souffrance des uns et des autres, Franca Maï s’interroge sur les rapports bourreau/victime, sur ce qui saurait briser ce cycle infernal là où les mots restent impuissants. Dans Speedy Mata et Pedro, une adolescente tue froidement pour venger sa mère. Jean-Pôl et la môme caoutchouc dit les tortures et viols d’une jeune femme pendant la guerre d’Indochine.

Un quart vietnamienne, Franca Maï faisait là une première rencontre, plutôt sombre, avec ses origines lointaines. L’Ultime tabou plonge encore plus profond dans l’insupportable, quand la mère d’une fillette assassinée rencontre un pédophile pour essayer de comprendre...

Avec Didier, rencontré il y a sept ans sur la Côte de Nacre, elle commence une nouvelle vie et revient habiter, par hasard, non loin de sa ville d’enfance. Un petit appartement dans une résidence sans âme, mais où tout le monde se connaît. La liberté, l’amour, les rencontres, et l’écriture... Pour concilier son amour de la scène et ses romans, Franca Maï réalise des lectures musicales de ses livres, mis en musique par Didier bien sûr. Entre les appareils électroniques, les instruments de musique et les ordinateurs, les lieux semblent vibrer en permanence. Quelques photos, quelques statuettes revenues du passé et la voix chantante de Franca Maï font dériver dans un drôle de temps, un présent effervescent dans le chaudron duquel un avenir magique serait en germe. L’art aurait-il quelque connivence avec la sorcellerie ?

-  Anne Marie Koenig

Bio
Née en 1959 à Paris, Franca Maï passe une grande partie de son enfance près de Dreux. Des parents très jeunes, trois frères et sœurs, une aisance familiale en dents de scie. En 1976, elle fugue à Paris, rencontre un photographe et commence une carrière d’actrice. Défigurée en 1979 dans un accident de voiture, elle continue le cinéma. En 1985, elle crée un groupe rock et rencontre oYoram avec qui elle produit une centaine de courts métrages. Sa fille, Arena, naît en 1993. C’est en 2000 que tout change, avec l’écriture, la rencontre avec Didier, la création du site e-torpedo et les lectures musicales.

-  Trois questions à l’auteur

“Internet : un rêve de liberté qui doit rester gratuit”

-  Comment êtes-vous passée du cinéma au roman ?
J’écrivais déjà pour le cinéma. Des scénarios, des nouvelles que j’adaptais... Et puis un jour, j’ai écrit une lettre à un homme sous forme de nouvelle noire, de conte cruel. Il n’a rien compris, ce qui m’a profondément vexé. J’ai donc envoyé mon texte à quelques éditeurs, dont deux m’ont répondu en me demandant si je n’avais pas quelque roman dans mes tiroirs. Comme j’avais déjà rédigé trente pages de Momo, j’ai foncé. Me lancer dans d’autres romans après Momo fut une évidence. Une liberté totale, un vrai bonheur.

-  Vous écrivez beaucoup pour les sites Internet ?
J’adore ! Les écrivains en ont souvent peur. Des histoires de droits d’auteur, de textes piqués... C’est complètement ridicule ! J’écris tous les jours sur Internet. Je balance des poèmes, des nouvelles, des contes. Les gens qui les aiment achèteront mes livres. Et puis, on est lue immédiatement, les réactions sont instantanées. Il y a une véritable conversation qui s’instaure entre mes lecteurs et moi. Avec e-torpedo, Didier et moi avons établi des contacts extraordinaires, des gens que nous avons rencontrés par la suite et qui sont devenus des amis. Internet, c’est un rêve de liberté qui doit rester gratuit.

-  Quel genre d’articles écrivez-vous pour les web magazines ?

Tout ce qui m’intéresse, tout ce qui peut donner des outils aux gens pour comprendre le monde, démystifier les mensonges. La violence vient de la souffrance, de l’impuissance pour la dire et de la solitude. Nous créons un réseau immense de gens qui pensent comme nous, qui ont envie de se retrouver. J’écris sur des problèmes de société, les dessous de la politique, des peintres, des musiciens, des chanteurs. Je fais des entretiens avec des gens que j’aime bien. C’est un travail énorme, bénévole et exaltant parce que c’est un moyen de changer le monde. Et j’y crois.

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Tous droits réservés
Crédit Photos : Mylène Zizzo
contact : mylene1510@hotmail.com

Le choix de Franca Maï

-  Une si douce impatience
Pierre Drachline Flammarion, 17 €
Entre la vie et la mort, la frontière est incertaine. Du fond de son cercueil, le narrateur nous parle de ses rencontres et de la médiocrité humaine. En phrases courtes et magnifique­ment ciselées, ce “voya­geur immobile” dresse le bilan des illusions.

-  Le Noir est une couleur
Grisélidis Réal
Gallimard Folio, 6,60 €
Autobiogra­phie d’une Suissesse qui milita pour les droits des prostituées. Née en 1929, Grisélidis, artiste peintre, raconte sa fuite en Allemagne avec ses enfants et un Noir américain échappé de l’asile psychiatrique. Maison close, prison... Un livre très fort !